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lundi 26 mars 2012

Le bon, la brute et Twitter

 
C’est une vague de partages de vidéo, de #STOPKONY sur Twitter, de statuts Facebook enragés aux élans héroïques auxquels nous avons pu assister ces dernières semaines. Invisible Children à travers son co-fondateur, Jason Russell, a frappé fort : une vidéo d’une trentaine de minutes d’une efficacité imparable fit le tour du monde en quelques jours et emporta avec elle une vague de soutien. Cet évènement est représentatif d’un certain nombre de choses.

D’abord, la force et l’impact toujours plus grandissant des réseaux sociaux. Leur utilisation, semble définitivement incontournable lorsque l’on souhaite lancer un projet global. En quelques jours, le hashtag STOPKONY devient un des plus utilisés sur Twitter, la vidéo est partagée des millions de fois sur Facebook, et ce sont aujourd’hui près de 85 millions de vues qui sont répertoriées sur YouTube. Rarement une association avait aussi bien su utiliser les ficelles d’internet : bienvenue dans l’humanitaire 2.0. Plus de relayeurs officiels, le vecteur devient l’ado du fond de sa chambre utilisant les réseaux sociaux comme frappe d’action.

Le réel engouement que provoqua KONY2012 est difficilement séparable du talent dont sut user Jason Russell, à la fois en réalisation vidéo mais aussi en marketing/communication autour du projet. La vidéo est remarquablement bien fichue, le montage, de qualité, trace de son ancien job d’assistant réalisateur pour les Studios Disney. On y suit le fils de Jason Russell, découvrant du haut de ses cinq ans la difficile réalité de la vie à travers l’histoire de Jacob, jeune enfant-soldat Ougandais, pleurant son frère assassiné. Apparait, alors, cette séquence pour le moins incroyable dans laquelle Russell, promet à Jacob « de les arrêter ». C’est le but de KONY2012, médiatiser le plus possible Joseph Kony, chef de la LRA (Lord’s Resistance Army), mouvement de rébellion qui vise à renverser le président Ougandais actuel, afin d’installer un système basé sur la Bible. Pour cela, Invisible Children contacte les hauts-responsables américains mais aussi des stars comme Justin Bieber ou Rihanna, appelés à diffuser la vidéo au plus grand nombre. La médiatisation de la situation ainsi que l’aide apportée serait, alors, mise à disposition des forces locales afin de procéder à son arrestation.

Seulement, l’engouement du projet  ne pouvait qu’attirer les critiques. Je mettrai de côté les traditionnelles théories du complot, qui viseraient à rattacher chaque américain aux tentacules de son gouvernement, ainsi que les fantasmes sur un ordre mondial et autre présence d’illuminati. Parce qu’il n’est nul besoin d’aller chercher si loin les défauts de ce mouvement.
Très vite, des voix se firent entendre, d’abord sur la légitimité de l’association. On leur reprocha des finances pas toujours très nettes, ainsi que le salariat d’un grand nombre de leur « travailleurs ». (Perpétuel débat sur le monde associatif et l’embauche/rémunération).
Surtout, c’est la simplification d’un conflit vieux d’une trentaine d’années et de ses implications locales qui est fortement décriée. La vidéo assume la binarité de son positionnement : les bons d’un côté, le méchant de l’autre (Joseph Kony, présenté comme le « bad guy » au fils de Russell). L’horreur des crimes de Joseph Kony n’est en aucun cas remis en cause par les personnes critiquant l’action d’Invisible Children mais ces derniers s’étonnent du soudain intérêt pour un homme aujourd’hui affaibli dans son propre groupe et n’étant même plus sur place, en Ouganda. Au- delà, se pose la question de la légitimité de l’armée américaine à s’allier à l’armée ougandaise (loin de tout reproche également) afin de résoudre un problème local. Plusieurs ougandais se sont élevés contre ce projet dans ce sens, regrettant qu’une force étrangère s’immisce dans un conflit local sans en mesurer toutes les subtilités et sans se rendre compte des risques qu’entrainerait une déstabilisation de la région par une intervention militaire. Ces derniers nous préviennent des dangers que pourraient causer cette aide en tentant d’apporter une solution jugée, inapte, pour beaucoup.

Ce sont également ces personnes qui déplorent, encore et encore, la transmission de l’image d’un continent pauvre et acculé par ses propres démons. Une Afrique qui aurait besoin de l’Occident bienfaiteur afin de se sauver d’elle-même. Regrettons, que ces voix, constatant le trop peu de diffusion d’une Afrique dynamique et remuante, soient si peu entendues.

En angélisant le système associatif, ses actes et ses acteurs, on occulte les différents problèmes locaux qu’ils engendrent. Surtout on oublie que la solution doit (et viendra) de l’intérieur et non de l’extérieur. Loin de moi l’idée de comparer le monde associatif au projet colonisateur du XIXe, mais il est frappant de voir que cet esprit paternaliste d’un Occident qui doit sauver l’Afrique de ses travers n’a cessé d’habiter les esprits. Si les raisons étaient, bien entendu, en grande partie intéressées, n’oublions pas que ce qui a alors frappé le continent africain à ce moment de l’Histoire était également porté par certains hommes persuadés du bien fondé humanitaire de leur venue. Preuve de la dangerosité de ce sentiment paternaliste, caricatural et pouvant mener au pire…
Bien sur, les conséquences sur place du projet KONY 2012 et des différents actes de l’association Invisible Children seront bien éloignées des aspects, aucunement positifs, de la colonisation. Cependant, tentons de garder un esprit rationnel et prenons le recul nécessaire face à ce genre de vidéo et d’action difficilement critiquable d’apparence.




Jason Russell, qui se présente comme le fils de « Oprah, Spielberg et Bono » a été arrêté puis hospitalisé il y a quelques jours, alors qu’il déambulait dans un état second et nu dans les rues de San Diego. Pendant ce temps, Joseph Kony, lui, court toujours…


Abernathy Kiddo

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